Transnationalismes et apories identitaires : l’afropéanisme de Léonora Miano1

Transnationalism and identity aporias : Léonora Miano’s Afropeanism

Flora AMABIAMINA

Université de Douala, Cameroun

floraamabiamina[at]yahoo.fr

Impossibilia. Revista Internacional de Estudios Literarios. ISSN 2174-2464. No. 19 (mayo 2020). Monográfico. Páginas 20-50. Artículo recibido 27 septiembre 2019, aceptado 08 mayo 2020, publicado 30 mayo 2020

Résu : De par leur récurrence, les mobilités transfrontalières imposent de nouveaux êtres au monde et renouvellent la multidimensionnelle problématique des identités. Celles-ci questionnent en permanence une substance (une définition) de l’Homme dans son lien à un espace. Il en va ainsi de l’afropéanisme, la nationalité hybride que l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano promeut et dont la spécificité est de caractériser les afrodescendants et les subsahariens nés ou vivant en Europe. Bien souvent confrontés à des difficultés d’intégration dans leurs sociétés d’accueil, ces afrodescendants et subsahariens interrogent leur identité et rêvent d’une société où la race n’aurait plus droit de cité. Notre analyse entend faire la part du réalisme et de l’utopie de ce positionnement.

Mots-clés : afrodescendants, afropéanisme, communauté, Europe, hybridité, identité, transracialité

Abstract: Transnational mobilities enforce new social groups, bringing out the multidimensional problematic of identities. They all have the Human being as common factor. It is so for afropeanism, the concept of hybrid nationality promoted by the franco-cameronian writer Léonora Miano. She is specialised in defining afrodescendants and subsaharians born or living in Europe. Most of the time, these afrodescendants and subsaharians face integration problems and the question of their identity, dreaming of a community where race would no longer have the right to exist. Our analysis will shed light on realism and utopia as salient features of the author’s imaginary.

Keywords : afrodescendants, afropeanism, communauty, Europe, hybridity, identity, trans-raciality

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Introduction

L’émigration de nombreux Africains en Occident, notamment en France, a fait émerger dans les écritures africaines un courant : la littérature de l’immigration. Des critiques en situent le début à la fin des années 80 : AbdourahmanWaberi (1998), Odile Cazenave (2003), Christiane Albert (2005), Jacques Chevrier (2006). Il est initié par des écrivains exilés volontairement ou involontairement, ou par des auteurs nés à l’écriture en Occident. Pétris d’expériences singulières et plutôt hétérogènes, ils ont choisi de dépeindre les conditions de vie des immigrés, de manière singulière, les difficultés matérielles et psychologiques subséquentes. Ainsi des items découlant du thème de l’immigration figure celui des identités de sujets qui, se retrouvant quelques fois entre plusieurs autres, sont souvent appelés à s'intégrer pour être acceptés. Lesdits sujets vivent parfois des perturbations intérieures et ont des difficultés à se déterminer sur le plan identitaire en raison d’appartenances plurielles. S’inspirant de son vécu, Michel Gironde se définit en homme discontinu (2016) ; un être dont l’identité est articulée autour de plusieurs lieux, cultures et histoires.

Un constat éructe avec l’émergence des écritures des auteurs de la migritude (Chevrier, 2006) : la tentation avérée de défendre les identités hybrides. Ces dernières constituent le lot de personnages problématiques qui se situent presque toujours dans l’entre-deux ou l’entre-plusieurs frontières, ou encore font face aux difficultés inhérentes à une volonté de s’intégrer à l’espace-hôte tout en conservant une part de soi originelle. On pourrait croire qu’il s’agit d’une résilience à des situations contraintes auxquelles il convient de trouver des solutions palliatives. Mais, la mondialisation présente la particularité d’avoir fait repenser les identités à cause de la mobilité des populations, laquelle génère des mélanges. De ces derniers surgissent des découvertes humaines, culturelles, intellectuelles, de géométrie variable. Des penseurs proposent des solutions pour permettre la transcendance et l’acceptation des différences, en somme cultiver l’union des différences. Achille Mbembe a théorisé l’afropolitanisme. Quant à Léonora Miano, elle se proclame désormais Afrodescendante : « Je suis depuis toujours une Afro-occidentale parfaitement assumée, refusant de choisir entre ma part africaine et ma part occidentale » (Miano, 2012a : 26). Elle fait l’apologie de l’afropéanisme, une nationalité hybride, dont elle nourrit une part importante de sa production littéraire (roman, théâtre, essais). Si l’auteure n’a pas inventé le vocable,2 elle en est la vulgarisatrice. En effet, depuis quelques années, elle l’a érigé en motif militant dans le paysage littéraire francophone. Par Afropéens, elle décrit ces personnes d’ascendance subsaharienne ou caribéenne, mais de culture européenne : « des individus qui mangent certes des plantains frits mais dont les particularismes ne sont pas tellement différents de ceux qu’on peut trouver dans les régions de France » (Miano, 2013).

La préoccupation centrale de cette étude est d’abord de questionner la posture philosophique de l’écrivaine. Cette interrogation s’innerve des réalités qu’induisent l’identité afropéenne que l’on ne saurait cantonner à la seule reconnaissance d’Africains ayant en partage le fait d’être nés en Europe ou d’y vivre depuis longtemps. De même, l'on ne saurait se satisfaire d'une posture politique autant que philosophique articulée autour de la reconnaissance d’hommes ayant des origines lointaines de l’Europe. De fait, on mesure la difficulté de l’existence d’une telle identité tant elle est formée sur des bases friables, incertaines, si on se fie aux préoccupations du moment dans le monde où l’heure est au réveil des nationalismes et à la revendication des identités singulières, nationales. Pis encore, l’Afrique n’a pas une identité mais des identités multiples; 3 il en est de même de l’Europe.4 Pourtant, la situation dans le monde montre également que de plus en plus d’individus déclinent leurs identités sous le mode de la composition, de la mixtion, de l’interculturalité voire de la multiculturalité qui forment des modes de traitement de la diversité culturelle. Cette situation mérite d’être examinée afin de comprendre l’engagement des uns et des autres, spécialement celui de Léonora Miano, en faveur des identités mixtes dont les défenseurs pensent qu’elles sont vraies, davantage proches des réalités, car elles engagent à une coopération qui s'institue en voie de compréhension de l’altérité. Dans cette logique, l’interculturalité ou la multiculturalité serait le gage d’une unité personnelle pour l’individu et déboucherait sur une forme identitaire plus ou moins aboutie,5 en l’occurrence la transracialité.

Notre analyse se veut prioritairement argumentative et vise la compréhension d’un phénomène. Pour ce faire, elle se situe à l’intersection de plusieurs disciplines dont l’histoire, l’anthropologie et la sociologie. Les questions de sujet culturel et de spatialité étant au centre de notre préoccupation, nous empruntons les clés propres aux théories d’Edmond Cros (2003) et de Bertrand Westphal (2007). Notre étude établit d’abord le lien entre le nouvel ordre migratoire et les auctorialités transnationales. Ensuite, elle montre que ces dernières s’ordonnent à la logique de la mondialisation et constituent le viatique d’une existence pour les écrivains transnationaux. Enfin, elle étudie l’apologie de l’afropéanisme en rapport aux rêves que certains nourrissent en faveur de l’émergence de la transracialité.

1. Les auctorialités transnationales : une panacée du nouvel ordre migratoire 

Ces récentes décennies, les migrations de masses redevables en partie à la misère économique et désormais à l’instabilité politique qui secoue diverses régions du monde, notamment l’Afrique et le Moyen-Orient, ont renouvelé la face du monde. En réalité, l’ordre international a mué sous la pression des migrations à un point tel que les sommets internationaux (Union européenne, G20, G8), réunissant les nations les plus puissantes de la planète, n’ont plus d’autre choix que d’inscrire dans leurs débats des questions migratoires. Il en est ainsi parce que ces dernières ont d’autres corollaires, surtout depuis les attentats retentissants du 11 septembre 2001 aux USA. La difficulté de l’Europe à parler d’une même voix à propos de la politique des quotas en matière d’accueil des migrants en est un indicateur notable. Les rideaux de fer érigés par quelques États, comme la Suède, pour contenir les migrants à leurs frontières ou le refus d’autres, à l’instar de l’Australie, d’en recevoir, en sont révélateurs. Après qu’elle a accepté d’accueillir en Allemagne des centaines de milliers de migrants Syriens, Angela Merkel a essuyé les invectives de ses compatriotes.6

En Afrique, la situation n’est pas différente quand on s’attarde sur ce que vivent les pays accueillant les réfugiés, notamment les problèmes d’insécurité (Cameroun, Congo démocratique) ou de maltraitance (scandale des migrants réduits en esclavage en Lybie). Par-delà les différents intérêts qui les sous-tendent, les migrations ont en leur centre des hommes en quête de sécurité. Le Programme des Nations Unies pour le Développement a défini la sécurité humaine en se focalisant sur l’individu. Il a mis en surplomb sept grandes rubriques : les sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, communautaire, politique (1994 : 26). Les migrations de sécurité engendrées par le terrorisme, les catastrophes naturelles, les persécutions religieuses ou culturelles et l’instabilité politique sont ainsi les plus récurrentes. Elles ont créé de nouveaux individus, à la fois des êtres des frontières qu’ils repoussent et des êtres sans frontières, qui se proclament du monde car, « Franchir la frontière est un privilège dont nul ne devrait être privé » (Glissant, 2006 : 123).

Les frontières sont celles des États-nations que la mondialisation voudrait gommer au profit d’espaces transnationaux où le sentiment d’un partage commun prévaudrait. Les frontières se révèlent importantes dans la représentation que les sujets transnationaux se font de leur être au monde. En effet, celles-ci leur apparaissent comme flottantes (Gironde, 2016 : 140) et donc en mouvement, métamorphiques, fluides. Pour Mbembe, « Elles sont fondamentalement hybrides et délibérément incomplètes et segmentées » (2020 : 129). En conceptualisant ce qu’il a dénommé les « ethnoscapes globaux », Arjun Appadurai (2005 : 91-113) a montré comment du fait de la circulation et du franchissement constant des frontières, la stabilité des localités ainsi que les identités, sont repensées. Voilà pourquoi Mbembe asserte que « ce que l’on appelle l’identité n’est pas essentiel. Nous sommes tous des passants. Alors qu’émerge lentement une nouvelle conscience planétaire, la réalité d’une communauté objective de destin devrait l’emporter sur le culte de la différence » (2017). Pourtant, au nom de l’identité, la différence est cultivée et exaltée tout autant que la conscience planétaire est de plus en plus disputée. On comprend que le politologue soutienne que l’identité soit « le nouvel opium des masses » (Mbembe, 2020 : 52).

Les écrivains des diasporas et de la migritude sont de ces êtres aux confins des frontières. Ils sont plusieurs à avoir émigré en Occident pour s’y réfugier sous des motifs divers (études, persécutions politiques, censure, exil économique, mariage). Jusqu’ici et pour la plupart, les littératures africaines doivent leur fortune, dès leurs premières heures, à des auteurs (Camara Laye, Mongo Beti, Assia Djebar, Olympe Bhêly Quénum) ayant connu l’exil à un moment de leur parcours littéraire. Le tournant des indépendances a été salutaire pour ces littératures grâce à des écrivains ayant émigré en majorité pour leurs études ou fui les persécutions politiques (Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma, V-Y Mudimbé, Williams Sassine, Tchicaya U’Tamsi, Tierno Monénembo, Cheickh Hamidou Kane, Sembène Ousmane, Alioum Fantouré, Henri Lopès). La vague des écrivains des années 1980 et suivantes fait aussi partie des Africains qui ont vécu la condition d’immigré pour diverses raisons (Calixthe Beyala, Jean-Roger Essomba, Eugène Ebodé, Fatou Diome, etc.). Boniface Mongo-Mboussa a ainsi été amené à conclure que « la littérature africaine moderne [est] fille de l’exil » (1999 : 24). Il se fondait sur le fait que des auteurs exilés en représentent les plus belles pages et que l’exil y a été érigé en thème littéraire majeur.

Aujourd’hui, la situation n’a pas fondamentalement changé puisque les auteurs africains auxquels on a tressé des lauriers (prix littéraire, critique académique) sont majoritairement de la diaspora.7 « Cette nouvelle génération [d’écrivains] vivent l’exil et le déracinement comme autant d’opportunités pour renouveler leur contrat existentiel et littéraire » (Tirthankar, 2008). Elle bénéficie, par ailleurs, de conditions de production favorables qui lui permettent de s’épanouir dans l’écriture. La carrière fulgurante de Miano l’illustre. La réussite de ces auteurs tient encore à une singularité : leur appartenance à plusieurs aires culturelles, ce qui est devenu un thème prolifique et productif dans leur écriture. Cette écriture prend la forme du témoignage romancé s’abreuvant de la réalité. En majorité, ces auteurs ont adopté les citoyennetés de leurs pays d’accueil. L’adoption de nationalités autres (pour quelques-uns) ou leur acquisition par le droit du sol en ont fait des auteurs « bi-aires » voire « pluri-aires ». La question ne se situe pas seulement au niveau de l’occupation de l’espace physique, mais encore dans celui d’une reconnaissance en tant qu’individus appartenant à ces espaces, en particulier les terres d’adoption. Ainsi, ils assument généralement cette appartenance multiple et se réclament d’une citoyenneté mondiale. En réalité, de par leur expérience, ils ont mesuré la difficulté pour les individus dans un monde globalisé à se revendiquer désormais d’un lieu unique. Or, le citoyen du monde ne se veut d’aucun lieu. Il entend appartenir à tous les lieux. L’entre-deux, ou l’entre-plusieurs, plus qu’une errance ou une utopie en tant que non-lieu, devient une nécessité pour des individus en quête d’équilibre personnel et de présence dans des lieux. La posture de citoyen du monde n’est pas alors uniquement géophysique (appartenance à plusieurs espaces). Elle est par ailleurs et davantage mentale (appartenance à des patries imaginaires,8 des patries que les sujets se construisent aussi sur les plans imaginaire et onirique). Plus que par le contact physique, les rencontres entre les hommes s’opèrent par le biais du virtuel à travers les technologies de l’information et de la communication, qui ont réduit voire annihilé les frontières. Les migrations prennent, par conséquent, une dimension psychologique et/ou imaginaire (Appadurai, 2005 : 34, 40). Toutefois, l’impact de ce type de migration n’est pas autant notable que celui remarquable chez les sujets ayant vécu l’expérience in situ et chez qui le désir d’en témoigner relève d’une urgence voire d’une thérapie. Les psychologues enseignent que le témoignage (l’aveu ?) participe du processus thérapeutique. L’autorité que délègue l'expérience aux écrivains rend leur parole forte et crédible. En parlant de soi, ils veulent parler des/aux autres.

Il en est ainsi de Léonora Miano. Elle a émigré en France en 1991 pour y poursuivre des études. Si des informations biographiques établissent que sa dimension multiculturelle date de longtemps avant son émigration,9 nous pouvons arguer que c’est en revanche le déplacement physique qui lui fait prendre pleinement conscience de sa condition de femme noire immigrée, d’Afrodescendante. Voilà pourquoi, à l’examen de sa production littéraire, on constate que son véritable intérêt pour les problématiques identitaires surgit à partir de son quatrième roman Tels des astres éteints (2008a), soit dix-sept ans après son arrivée en France. L’écrivaine commence à y interroger les individualités confrontées aux identités multiples (genre, sexe, race, appartenance sociale). Afropean Soul et autres nouvelles paru la même année (2008b), prend la forme d’un texte technique censé interroger et comprendre un phénomène. C’est encore en 2008 (est-ce un hasard ?) que l’écrivaine est naturalisée française. Sa naturalisation lui confère par ailleurs la qualité qui sied pour réclamer la jouissance des mêmes droits que les Français dits de « souche ». Miano le fait avec Blues pour Élise (2010), Écrits pour la parole (2012b) et surtout le recueil de conférences Habiter la frontière (2012a). Lesdits textes mettent surtout en relief l’intérêt pour l’identité qu’elle revendique et qui apparaît comme le fondement de la vie des Afrodescendants en Europe. Elle poursuit son combat dans l’association Mahogany qu’elle a créée en 2010 et qu'elle préside. Mahogany est une sorte de projet transculturel, un espace de dialogue des cultures dont l’objectif est de valoriser les expériences subsahariennes et afrodescendantes tout en les rendant accessibles au plus grand nombre. Par l’écriture, l’écrivaine invite déjà au partage de ces expériences dans Tels des astres éteints avec « la Fraternité atonienne », un cercle pour « [être] entre soi » (Miano, 2008a : 226), un lieu où « ceux qui étaient là venaient tenter de faire passer une douleur très privée. Une insulte, un jour. Une humiliation. La chose qui leur avait révélé la noirceur. L’événement qui leur avait signifié un statut » (2008a : 228). Le rêve de Shrapnel de mettre sur pied un complexe Shabaka, un centre pour les cultures subsahariennes, participe de la même logique. Son association se veut un espace comparable au « sol neutre de l’Hexagone, seul qui appartienne à la fois aux caribéens et aux subsahariens » (Miano, 2010 : 17). Amandla, qui s’investit dans les activités de la Fraternité (distribution de tracts, introduction aux rencontres, valorisation des idées du groupe), pourrait ainsi être assimilée à l’ombre de sa créatrice.

La nécessité d’information ressentie par l’écrivaine découle de ce que ces individus (dont elle-même ?) vivent une situation déchirante, une faille. Miano affirme que leurs identités, qu’elle qualifie de frontalières, sont « nées de la douleur » (2012a : 30). À l’observation, autant certains de ces êtres manifestent de la distance envers leurs espaces d’origine, souvent dépeints sous forme de dysphorie, autant il leur est renié une appartenance véritable aux terres d’accueil desquelles ils se sentent plus proches du moment où elles constituent leur présent. Leur statut reste ainsi ambigu même pour leurs propres personnes. Le questionnement généré par cette situation dans les écritures a engendré une littérature spécifique dont le centre est la peinture des immigrés et de leurs conditions de vie dans leurs lieux d’accueil. Les auteurs, renseignés par leurs propres expériences, sont comme mus par des forces qui les contraignent à parler d’êtres pluriels, situés entre des espaces socioculturels. L’écriture tient en conséquence lieu de devoir, une obligation de dire, une sorte d’impératif transgressif (Miano, 2016a) pour raconter son être, sa transculturalité, sa multiculturalité. « C’est simple, j’écris telle que je suis. J’écris ce que je suis. […] J’écris dans l’écho des cultures qui m’habitent : africaine, européenne, africaine américaine, caribéenne. Tout cela vient naturellement se loger dans le texte » précise l’Afrodescendante Miano (2012a : 28-29). L’intérêt que l’auteure porte à la condition de ces êtres est donc tributaire de l’expérience.

2. Le plaidoyer des identités composées : les conséquences culturelles de la globalisation, une question de cohérence ?

Le processus global de mondialisation a réinventé la notion de citoyenneté (la citoyenneté mondiale) et focalisé l’attention sur les identités qui se sont mises à muer, surtout dans les États confrontés aux fortes migrations, telle la France. Autant la mondialisation est censée abolir les frontières, autant elle les a paradoxalement renforcées en raison de la peur de l’autre suscitée par les migrations et due, en grande partie, à l’ignorance et à une méconnaissance chronique des autres. Plus que physiques, les frontières érigées visent la séparation entre les peuples et communautés, les cultures, les hommes. Ces frontières n’ont jamais été autant fortes et visibles sur le plan symbolique que ces dernières décennies. Malgré les décisions politiques pour les contenir à défaut de les endiguer, les migrations sont irréversibles. Elles redéfinissent les rapports humains ayant pour problématique centrale les façons dont les sujets migrants feront admettre/respecter leurs différences plurielles. Miano le relève en prenant l’exemple des Afrodescendants d’Afrique.

On notera la grande diversité culturelle de l’Afrique subsaharienne, souvent perçue comme un bloc monolithique quand elle abrite de puissantes singularités. On ne vit pas dans le Sahel comme en Afrique centrale ou dans la Corne de l’Afrique et, dans la mesure ou les immigrés subsahariens transportent leur bagage identitaire avec eux lorsqu’ils arrivent en Europe, ces différences persistent. Les Français d’origine subsaharienne ont donc pris l’habitude de se regrouper au sein d’associations communautaires liées au pays d’origine plus qu’au continent (Miano, 2012a : 63).

C’est un moyen d’exister. Pourtant, ces différences peuvent se révéler mutilantes puisqu’elles constituent des singularités que les sujets entretiennent et renforcent (face à l’adversité) : pareille façon de voir pose le problème de l’intégration pour ces immigrés. Devant l’adversité, ils se réactualisent et sont tentés par le repli communautaire, lequel résulte de la frustration engendrée par les difficultés d’intégration dans une société française à la fois accueillante et hostile à leur égard. Miano, sur un ton caustique, soutient que la République :

c’est elle qui commande du haut de ses siècles d’âge, ce n’est pas sa faute si on n’arrive pas à se fondre en elle, à faire en sorte que les taxis, les vieilles dames, les employeurs, les keufs, ne soient plus saisis d’effroi, et pendant que la République pérore sur ses valeurs séculaires, elle continue d’ignorer que c’est son regard, toujours incroyablement déconnecté de ses discours, qui fait de la minorité une communauté, plus de vécu et d’intérêts que de couleur, avec la méconnaissance comme matrice, le soupçon comme assise, histoire et culture à la fois, terreau acide sur lequel ta souffrance a germé, poussé haut, pour devenir, en quelque sorte, une identité, tant pis si c’est pas chouette, chacun grandit avec ce qu’on lui donne, c’est comme ça que ça se passe partout, la république peut raconter ce qu’elle veut, elle n’a pas su se rendre désirable, et tu n’en as rien à faire de ses grands auteurs, de ses beaux littérateurs, parce que ta gueule de Français noir n’est jamais dans ses livres (Miano, 2012b : 32).

Le recours au regroupement communautaire et/ou ethnique, sorte de ségrégation murée dans le particulier, correspond à un retour à l’envoyeur des schèmes d’une pensée stigmatisant les Noirs dans l’ensemble. Il s’agit également de marquer une désapprobation face à une domination et à un asservissement transhistoriques, en procédant au « retournement du stigmate » (Bourdieu, 1980 : 69). Pour Jamous Haroun, le repli communautaire est une réactualisation. Il affirme que,

dans sa généralité, le phénomène de réactualisation se manifeste principalement dans certains groupements minoritaires ou issus de l’immigration, prédéfinis culturellement par une société dominante. Il se présente comme un mécanisme de remontée à la conscience, de recomposition et de réappropriation d’un passé omis ou accaparé, à travers lequel se reconstruit et se réinvente une identité et une réalité présentes et futures (2000 : 74-75).

Les fratries communautaires représentées dans Tels des astres éteints et Blues pour Élise, avec pour lieu d’intersection l’identité noire, l’illustrent. Le premier récit met en scène des personnages errants (Amok, Shrapnel et Amandla) à la quête d’une identité. Ils vivent douloureusement cette expérience. Aussi leur combat est-il orienté vers la réhabilitation de l’image de l’homme noir dans un univers où il est quasiment condamné à vivre aux arrières-postes. Dans le second récit, les filles du Bigger than Life affichent leur appartenance ethnique en optant pour le nappy hair,10 la mode du cheveu naturel et crépu qui détonne dans leur espace de vie. Leurs goûts musicaux s’inscrivent dans l’identité musicale propre au monde noir (blues, jazz, soul, hip-hop). Elles adoptent ainsi ce que Mbembe dénomme « l’éthique de l’altérité » (2020 : 52). Pour elles, « se proclamer différent devient alors une manière d’échapper à la négation imposée» (52). La réactualisation constitue paradoxalement un mécanisme de défense identitaire mais encore d’éducation/apprentissage identitaire articulé autour de la composition.

D’autres schémas de réactualisation sont préconisés par des penseurs originaires de peuples ayant connu la domination. Homi Bhabha (1994) prône l’hybridité culturelle ou le métissage culturel qu’il théorise en tant que démarche de résistance et de réponse aux velléités de domination de l’autre. L’hybridité lui semble, dans cette logique, le modèle identitaire productif pour le sujet postcolonial. Michel Gironde, à la quête d’une identité seyante, choisit de fédérer ses divers « entrelacs » et « imagine le bricolage d’un dispositif hybride » (2016 : 148). Quant à Miano, elle s’élève contre la constriction identitaire. Elle croit savoir qu’« être un Africain, de nos jours, c’est être un hybride culturel. C’est habiter la frontière » (Miano, 2012a : 28). Elle souligne que « La frontière […] est l’endroit où les mondes se touchent, inlassablement. [Elle] évoque la relation » (2012a: 25). Seulement, par quelque bout qu’on la prenne, la notion d’hybridité reste problématique et même polémique du fait qu’elle s’inscrit d’abord dans le champ sémaphorique de l’impureté. De par son étymon latin hibrida signifiant bâtard, de sang mélangé, le mot « hybridité » appartient à l'origine au lexique de l’histoire naturelle, spécifiquement à la biologie (animale et végétale). Elle est une notion péjorée qui rappelle celle de pur-sang. Celle-ci est souvent opposée à l’idée de sangs mêlés renvoyant à l’impureté, par le mélange qu’elle induit. Or le mélange n’est pas toujours homogène. Sous ce sceau, l’hybridité menace la totalité et/ou la particularité.

De ce qui précède, il ressort un être pluriel qui se définit tout en surfant sur plusieurs vagues. Il doit prendre en compte les appartenances multiples que lui imposent le contexte et les expériences vécues. Aussi en quête d’une identité appropriée, l’identité interculturelle se révèle-t-elle la seule en mesure de restituer le caractère pluriel de ce sujet à la recherche d’une unité personnelle. Les personnages en errance identitaire de Tels des astres éteints, Amandla, Amok et Shrapnel, en sont des modèles. Donc, en militant pour l’hybridisme culturel du sujet africain, l’auteure bâtit un socle argumentaire pour justifier la migration identitaire qu’elle a amorcée en tant que sujet.

Plusieurs penseurs africains se retrouvent en semblable situation et militent pour l’alliance des identités noires et des identités occidentales lorsque les premières vont à la rencontre des secondes. Leur engagement en faveur d’une interculture et/ou d’une multiculture, puisant à des sources diverses, est explicite. Ce choix est présenté tel un facteur d’enrichissement (le fameux carrefour du donner et du recevoir de Senghor ou la poétique de la relation de Glissant) plutôt que de dilution, même si quelques-uns peuvent y percevoir une crise de l’identité. Les identités proposées en modèles sont composées : interculturelles ou multiculturelles. L’afropéanisme exalté par Miano véhicule pareille philosophie. Pour l’écrivaine, il n’est pas alors admissible que

certains Français d’origine africaine se définissent encore comme Algériens ou Sénégalais. Je trouve cela absurde, un peu puéril et contreproductif. Accepter son appartenance à la France est considéré par certains comme une trahison, or c’est une condition nécessaire pour parvenir à se réaliser et pour que vos revendications – si vous en avez – soient légitimes. Et cela ne vous interdit pas de chérir la culture de vos parents, d’enrichir la culture française de ce qu’ils vous ont légué (Miano, 2013).

Pour Etienne Lassi, cette posture dénote

L’attitude culturelle politico-exotique [qui] se présente comme une position de compromis par laquelle un auteur postcolonial escamote les antagonismes politico-culturels dans le but de créer un espace convivial où se côtoient diverses identités culturelles. Mais cette pluralité n’est qu’une façade dans la mesure où la tendance assimilationniste des cultures dominantes n’y est pas remise en question (2015 : 446).

De surcroît, l’écrivaine, qui prêche pour sa chapelle, exhorte les sociétés européennes à prendre la pleine mesure de l'existence des Afrodescendants en leur sein. Elle mène une réflexion sur les voies et moyens pour mettre sur le même plan des cultures en apparence opposées. Dans cette contexture, lafropéanisme se veut une manière d’être dans un lieu peu réceptif voire hostile. En réalité, pour les Afropéens, « il y a d’une part le refus de l’invisibilité et de la soumission, et d’autre part, la proclamation d’une nouvelle réalité, une réalité mélangée » (Gironde, 2016 : 49). Plus qu’une identité postcoloniale, puisqu’elle concerne pour beaucoup d’entre eux, des sujets issus des anciennes colonies, il s'agit davantage d’un positionnement, des fondements d’une existence et d’une identité postcoloniale s’acquérant tout au long d’un parcours.

À l’image des jeunes des banlieues issus de l’immigration, il est question du droit d’exister (Tchumkam, 2015 : 13). Ce droit n’implique pas de choisir entre les cultures, les manières d’être et de vivre. L’identité afropéenne manifeste le rapport des sujets à deux lieux centraux : le lieu d’origine (un pays d’Afrique ou des Caraïbes) et le lieu de vie (un pays d’Europe). Pour Miano, le métissage est un lieu d’ouverture et d’enrichissement. Il « n’épous[e] pas le déracinement » (Miano, 2010 : 19) mais l’enracinement diversifié que commande l’identité composée dont la spécificité est de mettre l’accent sur la dimension dynamique de l’identité. L’écrivaine le souligne en citant un extrait de la chanson Left Alone de Mal Waldron, pour signifier la difficulté de l’enracinement : « There’s no house that I can call my own, There’s no place from which I’ll never roam./ Il n’y a aucune maison que je puis dire mienne, il n’existe aucun lieu duquel je ne puis me séparer » (2008a : 347).

Mais quel crédit peut-on accorder à cette identité quand les appareils socioculturels et politiques de pays européens, notamment la France, prônent l’assimilationnisme et mettent les Afrodescendants devant un dilemme culturo-existentiel ? L’alternative à laquelle sont confrontés les Afrodescendants est d’être écartelés entre les valeurs de leurs cultures d’origine et le désir de s’adapter ou d’adopter les normes d’une société d’accueil puissante. Miano l'exprime dans une présentation de ces sujets

Ces personnes ont des appartenances multiples, et ne peuvent être confrontées à un choix qui les amènerait à devoir divorcer d’une partie d’elles-mêmes. Quand elles ont tenté de se fondre dans le moule, on leur a fait comprendre que c’était inutile, qu’elles ne seraient jamais reconnues comme des ayants droit à l’espace national, puisque la souche française prévaut, en dépit de tous les discours. Il leur a donc bien fallu trouver un équilibre, et elles l’ont trouvé. Aujourd’hui les Européens noirs refusent d’avoir à choisir entre leur part subsaharienne ou caribéenne, et leur part européenne. Ils souhaitent abriter en eux les deux, les chérir, voguer de l’une à l’autre, les mélanger sans les hiérarchiser. C’est dans cet entre-deux qu’ils sont à l’aise, complets, épanouis. De ce qui était jadis un lieu de rupture, ils ont fait un espace d’accolement où les mondes qui les constituent se touchent sans s’affronter (Miano, 2012a : 84).

Le tout n’est pas alors d’assumer soi-même plusieurs appartenances que l’on ne ressent pas mais de pouvoir vivre en accommodation avec ses lieux de vie et les arts de faire qu’ils modélisent. Et là réside le problème. On l’observe dans les jeunes personnages de Tels des astres éteints (Amok, Shrapnel, Amandla ou Mayhem). Ils ont un mal réel à s’intégrer à la société française parce qu’ils ont le sentiment d’y être exclus et d’être pris pour des êtres inférieurs en raison de la couleur de leur peau. Pour Amok, la prise de conscience de cette couleur est de l’ordre de la violence : « Avant cette rencontre brutale, inattendue, la plupart des subsahariens ne se donnaient pas dans leurs langues le nom de Noirs. Ils se nommaient d’après un ancêtre fondateur ou en fonction d’un territoire » (Miano, 2008a : 205). Shrapnel, quant à lui, ne parvient pas à surmonter ses doutes tant existentiels qu’identitaires et ne trouve de paix que dans la mort. C’est ce qui conduit son ami-frère Amok à retourner sur la terre natale afin de soustraire son fils Kabral du racisme dans Crépuscule du tourment 2. Heritage (Miano, 2017a). Amandla, pour sa part, poursuit sa quête identitaire entamée dans Tels des astres éteints dans la dyade Crépuscule du tourment 1. Melancholy (Miano, 2016b) et Crépuscule du tourment 2. Elle finit par retourner aux sources, en Afrique, « sur la Terre première » et pour s’y « engag[er] dans la renaissance » (Miano, 2016b : 84). Elle a compris, tel qu’elle l’avait déjà constaté qu’« On n’était toujours pas prêt à confier une [tâche] importante à un homme noir » (Miano, 2008a : 102). « Le maître des céans, l’homme blanc, conservait son rang, ses prérogatives […] Aux hommes qui ne lui ressemblaient pas, il continuerait d’indiquer assez clairement qu’ils étaient ses sujets. Pas ses frères » (2008a : 103).

La situation est identique pour les filles du Bigger than life de Blues pour Élise. Elles portent leur identité afropéenne comme un stigmate, si on se fie au traitement auquel elles ont droit au quotidien. À cause de leur « altérité radicale » (Mbembe, 2006 : 145), elles subissent des agressions. Leur espace de travail s’érige en lieu anxiogène. Amahoro doit supporter les intrusions de sa patronne dans sa vie intime, toute chose pouvant laisser croire à une infantilisation du personnage qui ne serait pas assez mâture ou intelligent pour organiser sa vie sentimentale. Afin de préserver son indépendance, Shale choisit une profession libérale (écrivaine de bande dessinée pour jeunes) afin de pouvoir vivre librement ou du moins de suivre seulement les codes qu’elle s’impose. À l’image de la production littéraire de Miano, l’actualité démontre que les discours demeurent des vœux pieux ou des rêves que leurs auteurs espèrent voir se concrétiser. Les évènements ayant pour centre le rejet de l’autre dans le monde, surtout lorsque les communautés sont impliquées, attestent que les rapports apaisés et conviviaux entre les cultures et les peuples sont loin de devenir des modèles ordinaires.

3. L’afropéanisme ou l’utopie de la transracialité

Il apparaît derrière l’apologie de l’afropéanisme un rêve sourd : celui de la transracialité. Avec la chanson Armstrong de Claude Nougaro, Miano, dans Blues pour Élise, met en surplomb des Blancs qui exaltent « l’ère post-raciale » (2010 : 27). En effet, derrière la condition de l’Afropéen, il y a la condition commune de l’immigré noir africain,11 autrement dit la problématique raciale. L'écrivaine répertorie cet élément dans son choix de militer pour l’afropéanité : « C’est bien entendu, pour sortir de la caractérisation raciale, que j’emploie le terme Afropéens pour désigner ces gens [descendants de parents venus d’Afrique subsaharienne ou de la Caraïbe] » (Miano, 2012a : 139). Or la race, pour le Noir, est un stigmate. Il « était ardu d’être noir. Les implications semblaient infinies. La couleur s’insinuait dans ce qu’on faisait. Elle codifiait tout. Régentait tout. La couleur était un ordre » (Miano, 2008a : 224). Elle assure que 

Dès lors qu’il s’agit de ces populations descendantes de colonisés, le décompte des générations ayant vécu sur le sol français est sans fin, les gens peuvent donc être des immigrés de troisième génération : nés en France, de parents eux aussi nés en France, mais toujours pas Français (Miano, 2012a : 79).

En somme, on naît Noir, on vit Noir et on meurt Noir. Au regard de l’actualité dans le monde, il semble que rien, pour l’heure, ne puisse faire muer cette donnée. Aníbal Quijano souligne à juste titre que

pour la majorité écrasante de la population mondiale, y compris les adversaires et les victimes du racisme, l’idée de «  race », comme un élément de la « nature » ayant des implications pour les rapports sociaux, se maintient, quasiment intacte, depuis ses origines (2007 : 112).

Les exemples de membres des minorités ayant accédé à davantage de visibilité sont nombreux pour rendre compte de ce postulat. Amandla, dans Tels des astres éteints, en convoque un qui a nourri le débat en France : Harry Roselmack lorsqu’il a été désigné pour être « la doublure estivale du présentateur vedette » (Miano, 2008a : 102) du Journal de 20 heures sur la chaîne de télévision TF1. « Un journaliste noir. On ne savait même pas que cela pouvait exister » (2008a: 101-102). Voilà pourquoi « Le soir de la première, puisqu’il était question de spectacle, les Kémites, d’ici avaient retenu leur souffle, croisé les doigts, fait brûler des cierges. Pourvu qu’il soit bon. Qu’il fasse honneur à la couleur » (102). Le séjour du journaliste à l’écran, à une heure de grande audience, le temps d’une éphéméride, témoigne de la difficulté des Noirs à trouver une place honorable dans l’espace public français. Le statut des citoyens français afrodescendants renseigne sur le fait que leur affirmation identitaire dans certains lieux (Europe et même Amérique) demeure une question problématique puisque, bien souvent, leur humanité y est contestée. Miano en témoigne dans Habiter la frontière où elle s’attarde sur la dure existence des Noirs en France. Cette existence est assise sur une équation fondamentale énoncée en ces termes :

Être noir en France aujourd’hui, c’est avant tout être dans une situation d’impouvoir. C’est ne pas maîtriser sa propre image, puisqu’elle est construite par d’autres qui conçoivent eux-mêmes, l’objet de leur crainte, de leur détestation, de leur mépris ou d’une empathie infantilisante (2012a : 71-72).

L’actualité ne la dément pas puisque le principal parti d’extrême droite, le Front National, ne cesse de gagner du terrain. C’est ce qui amène Kimmy dans Blues pour Élise à hurler son « ras-le-bol qu’on culpabilise celles qui se défrisent les cheveux […] comme si le noir disparaissait avec le défrisage, comme si les gens étaient tout à coup plus aimables, comme s’il était plus simple de trouver un logement » (Miano, 2010 : 43). Ahmed Boubeker dénonce, dans le cas d’espèce, « l’assignation identitaire » (2006 : 188).

Comme pour l’Afrique du Sud avec la libération de Nelson Mandela le 11 février 1990 et son accession en tant que premier Noir à la présidence le 10 mai 1994, l’élection de Barack Obama, le premier Noir à la présidence des USA le 4 novembre 2008, a engendré de l’espoir chez les humanistes. Il s’agit de ceux qui nourrissent le rêve de voir émerger un monde où le concept de race n’aurait plus d’ancrage véritable ; ceux qui aspirent à un monde décloisonné sur le plan racial. Miano fait partie de ces humanistes. Elle a vu dans cette élection le symbole du changement ainsi que le souligne Nicki Hitchcott dans une analyse de Blues pour Élise : « Barack Obama is presented in the novel as a possible catalyst for positive change, as demonstrated in the repeated refrain of ‘Let’s Barack our lives » (2014 :134). Seulement, cette élection a permis parallèlement de voir sourdre l’importance de l’ancrage des différences raciales dans la société américaine. L’élection de Donald Trump est venue raviver le sentiment de la race surtout chez les suprémacistes, ses grands soutiens. Ces derniers y ont vu un blanc-seing pour le déploiement de leur idéologie. Le phénomène est observable dans plusieurs pays en Occident où s’est développée la peur de l’étranger à la faveur de politiques surfant sur le populisme. Le discours extrémiste de ces politiques fait croire que les immigrés sont la source de tous les maux à l’image du chômage dont plusieurs pays ont du mal à se débarrasser ces dernières décennies. Il n’est quasiment pas de pays européen qui n’ait pas de groupes dits d’extrême droite ou de radicaux de droite. Dès lors, il n’est plus politiquement incorrect pour les fervents partisans des thèses racialistes et des replis identitaires de revendiquer leur haine et leur dégoût pour d’autres peuples et communautés.

Si les communautés sont une évidence humaine, elles posent néanmoins le problème des perceptions qu’elles génèrent dans différents espaces, des perceptions politisées car, « personne ne vient au monde en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé, ou de sa religion» tel que l’a affirmé Nelson Mandela (1995) en son temps. Achille Mbembe n’exprime pas une réalité différente quand il souligne que 

Pour fonctionner, le racisme a besoin de la fiction selon laquelle il y aurait des corps purs, des cultures pures, du sang pur. Or, il n’existe aucun corps humain qui soit pur, diaphane. En matière de corps, de religion, de culture ou de sang, le blanc n’existe tout simplement pas. Tous les corps sont gris ou ocre et obscurs. Et c’est ce qui fait d’eux des corps vivants et humains, et à ce titre poreux, ouverts sur ce qui les fait vivre, sur la chair du monde (2017).

Devant les méandres auxquels ont été confrontés les adeptes de l’effacement de la race, Gregory Benedetti a parlé de « nébuleuse postraciale » (2012) parce que le racisme continue de sévir. Nous parlons, quant à nous, d’utopie transraciale. Et souscrire au projet transracialiste revient à adhérer à l’ambition anthropologique de Martin Luther King Jr. à savoir vivre dans une société affranchie de toute considération racialiste. La théorie transracialiste trouverait alors son fondement socio-anthropologique dans cet énoncé à la fois onirique et exprimé sous le mode optatif : « Je rêve que mes quatre petits-fils vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère »12 Le même dessein alimente la pensée de Miano bien qu’elle nie l’évidence que le Noir et le Blanc en tant qu’humains, renvoient encore pour quelques-uns à une catégorie raciale, ayant partie liée avec la couleur de la peau, avant toutes les considérations socio-politiques et/ou socioculturelles qu’elle peut impliquer selon les espaces.

Les mots « blanc » et « noir », dans leur acception racialisée, ne font pas référence à la couleur des personnes, mais à des conditions politiques. Pour endosser le mot « noir » […] qui revêt une signification négative dans bien des cultures subsahariennes, il importe de l’investir de contenus transcendant la racialisation. J’avoue d’ailleurs prôner son dépassement et ne l’employer que pour marquer mon attachement aux populations afrodescendantes vivant dans des sociétés racialisées et l’importance à mes yeux de l’Histoire qui a créé la catégorie politique visée par le mot (Miano, 2017b).

Les polémiques entourant les différentes théories sur le premier ancêtre des humains, qui serait un Noir, le prouvent. L’historien Cheikh Anta Diop ou encore les paléo-anthropologues Yves Coppens et Jean-Jacques Hublin ont défendu l’idée qu’il n’y a qu’une seule race, celle de l’homo sapiens. Ils ont argué, parallèlement, que l’Afrique est le berceau de l’humanité, en appuyant leur argumentation sur les découvertes archéologiques assurant que, jusqu’ici, les plus vieux fossiles humains ont été retrouvés en terres africaines. Miano admet également la difficulté d’effacer la race même « dans un pays comme la France qui se prétend aveugle à la couleur » (2012a : 15) et qui « renâcle à s’ouvrir sur ses marges, et ne le fait que sous la contrainte, lorsque les banlieues brûlent ou que l’Outremer se soulève » (28). Être Noir est un combat quotidien avec des armes dérisoires puisqu’elles sont fournies et contrôlées par l’adversaire. L’écrivaine en témoigne par sa propre expérience. Ainsi,

Être noir en France et parler des Noirs, c’est constituer une menace, quel que soit le propos tenu, ce que j’ai pu éprouver moi-même à plusieurs reprises. En dépit de ma visibilité, de ma notoriété, je suis avant tout une femme du tiers monde à qui on accorde une faveur, et je suis sommée, par divers moyens de rester à ma place. Mes livres consacrés à la vie des Noirs de France reçoivent un accueil des plus tièdes, de la part des médias. Blues pour Élise qui a pourtant touché bien des lecteurs, n’a pratiquement pas été commenté dans les journaux – sans doute était-il mal écrit, mais à ce moment-là, pourquoi ne pas le dire ?-, ce qui ne se produit jamais avec mes romans africains (73).

La vérité est qu’il est plus facile pour un Blanc de quelque pays d’Occident naturalisé par exemple, de se sentir plus Français que le Noir longtemps installé du fait des générations qui se sont succédées sur place. Il en va ainsi du fait que les clichés du Noir dans l’inconscient collectif français n’ont pas véritablement bougé et engendrent encore le rejet. Ce phénomène de rejet est mis en fiction dans Blues pour Élise et le recueil de théâtre Écrits pour la parole de Miano. La condition du Noir prend l’aspect d’un fardeau, le chemin de croix pour être accepté et pris pour un être à part entière. Le regard de l’autre (les compatriotes français, la société française) gouverné par les représentations stéréotypées est important de ce point de vue. En effet, en dépit de leur volonté d’intégration, les Noirs vivant en France, pour citer ce cas sur lequel s’attarde Miano, se heurtent aux dénégations d’une société (française et blanche) qui refuse de prendre la pleine mesure de la diversité ethnique, culturelle et cultuelle dont elle est composée. Aussi voyons-nous les personnages campés dans Blues pour Élise s’entendre dicter leur être au monde ainsi que leurs attitudes et leurs conduites dans la société française. Ils se récrient encore du traitement que leur société d’accueil leur réserve en raison de leur appartenance raciale.

Akasha est poliment invitée à se faire défriser les cheveux pour être admissible à un emploi (Miano, 2010 : 22). Avec ses compagnes du Bigger than life, elles sont conquises par la mode du big chop ou nappy hair. Elles considèrent que « la quête d’une chevelure lisse est la marque de l’aliénation et de la détestation de soi » (2010 : 145). Kimmy se fait le devoir de rappeler à Akasha que le problème se situe ailleurs et qu’il est souvent question de survie.

Dans l’entreprise où elle officie comme hôtesse d’accueil, on lui a fait comprendre qu’une coiffure conventionnelle convenait mieux à l’image de la société. […] La DRH l’avait convoquée pour lui dire qu’il ne fallait pas être trop ethnique. […] Sa couleur la distingue suffisamment, inutile d’en rajouter (43).

Malaîka se voit reprochée son physique différent du diktat de la femme mince en vigueur dans la société française au nom du dogme tacite selon lequel il « fallait un peu se soumettre au Système, si on voulait être reconnu par lui » (81). Sa collègue lui révèle « qu’elle ne pourrait obtenir d’augmentation de salaire si elle ne faisait pas d’effort » (81). Par fournir de l’effort elle veut signifier maigrir pour rentrer dans « la taille 38, burqa de la gemme occidentale » (78-79). Miano décrie à l’évidence la rigidité des préjugés que la société française entretient à l’égard des Noirs maintenus à la marge. Ahmed Boubeker l’exprime d’une autre manière :

Des générations d’hommes et de femmes ont passé la mer pour trouver refuge au pays du pain. Mais dans une France à la mission universelle, l’immigration est restée terra incognita : pour trouver sa place, chaque candidat à l’intégration n’était-il pas sommé d’ôter les oripeaux de ses anciennes appartenances ? Grandeur d’un modèle d’intégration par assimilation individuelle et culturelle au nom de l’idéal des Lumières. Grandeur puis déclin lorsque la « terre inconnue » devient le triste déversoir de délires publics associés à un retour du triste temps des colonies ?  (2006 : 188).

Cette situation de mixophobie crée un cercle vicieux où le Noir, opprimé dans sa communauté et à cause d’elle, en prend conscience. La couleur de la peau devient pour les Noirs un symbole de revendication, sans distinction de l’origine géographique des acteurs.

À l’évidence, la cohabitation de peuples différents donne toujours lieu à un conflit latent. Les rapports de force et de pouvoir la sous-tendent.  Des écrits de Miano mettant en scène cette cohabitation, il ressort que l’imaginaire collectif des Français blancs entretient ce que Ruth Amossy (1991 : 21) désigne stéréotypage, à savoir des images péjorées mises à contribution dans la saisie de l’autre sans le moindre recul ni questionnement. Dans Ecrits pour la parole, s’intéressant au cas de la femme noire en France, Miano identifie les causes des projections stéréotypées que se fabriquent les Français blancs des Françaises noires :

Il leur a fallu jouer les sauvages émoustiller le désir malsain qu’on avait de la sauvage Habiter une Afrique préfabriquée par la pensée raciste pour arriver en haut de l’affiche et gagner leurs galons d’icônes.
La femme noire de France n’a eu pour se penser s’envisager se découvrir se définir que des figures dansantes chantantes Dévêtues puis couvertes d’exotisme habillées de fantasmes La femme noire de France n’a été que saturée que de stéréotypes (Miano, 2012b : 58-59).

La femme noire en France est d’abord réduite à son physique, parfois ravalée à un objet de plaisir au nom d’une exceptionnelle prétendue sensualité dont elle serait naturellement dotée. Aussi l’écrivaine s’interdit-elle de s’y laisser cloîtrer :

Je m’en fous qu’on me Courtise Qu’on me trouve sensuelle avec ma voix grave ma cambrure ma peau ambrée mes fesses rebondies ma peau d’ébène mon port de tête ma peau mes jolies tresses ma peau et tout le reste Qui n’est pas moi d’ailleurs (2012b : 51).

Les projections que se font les femmes blanches de l’homme noir ne sont pas meilleures. Elles sont tout autant maquillées de clichés réducteurs. Ces femmes ont une appréhension opportuniste du Noir qu’elles ravalent au rang d’objet destiné à assouvir leurs désirs charnels :

Inconsciemment pénétrées de l’idée que les hommes noirs sont des handicapés historiques, elles n’en attendent pas beaucoup plus qu’une présence quotidienne et des performances sexuelles (54).
C’est leurs corps qu’elles veulent. Elles ont besoin de faire l’amour avec des corps noirs, de dormir dans des bras noirs. Ça les équilibre. Ça les détend. Un peu comme ces hétéros qui ne se portent bien qu’en ayant, de temps en temps, des relations homosexuelles (72).

Stanislas Adotevi, dans Négritude et négrologues, l’a exprimé à sa manière lorsqu’il s’est attaqué aux

mythes et fantômes [ sur l’Afrique] : Ce qu’on appelle la sexualité nègre, c’est le sexe tel qu’il apparaît dans le rêve du paysan du Morvan vieillissant et podagre. Le sexe du Nègre, c’est enfin, pour nonne à quelques lunes de la ménopause, un rêve de métamorphose, une promesse de nuit totale (1998 : 64).

Tout cela dénote une relation tumultueuse entre Noirs et Blancs dans les espaces où ils sont amenés à se rencontrer, particulièrement en Occident. Parmi les raisons expliquant que la société française n’encourage pas la mixité de certaines communautés de même que l’ambition interculturelle, celle-là a toute sa place. D’où ce constat volitif formulé par Miano :

Le mieux Pour beaucoup C’est de dépasser les limites Usées de la nation De voir plus grand Le mieux pour beaucoup C’est de transcender la couleur Qu’on comprenne Qu’il ne s’agit pas de race Qu’il n’est pas question de biologie Mais de culture D’appartenances mitoyennes en soi D’histoire De la mémoire d’une rencontre sur laquelle il est impossible de revenir (Miano, 2012b : 73).

Conclusion

Les recours des nations à l’adoption de règles légitimatrices sur les préférences et les exceptions culturelles, mettent au jour le rapport de force et de pouvoir qui régissent la cohabitation des cultures. Plus qu’un carrefour du donner et du recevoir, ou encore la mise en relation que la rencontre des cultures pourrait donner au premier abord, il s’agit davantage de liens d’influence que certaines cultures exercent implicitement et parfois sournoisement à l’égard des autres avec pour finalité non avouée la domination. L’interculturalité deviendrait ainsi un mode de résistance, voire de renversement de l’ordre, pour des sujets entendant exister dans des univers qui leur nient une existence sociale. Voilà la source de l’apologie de plus en plus marquée d’identités exaltant le métissage, la composition, l’hybridité, en somme la relation. L’afropéanité défendue par Miano est de ces identités promouvant la mise en rapport, l’humanisme. Seulement, la réalité est là prouvant que la défense des identités composites s’inscrit toujours dans l’ordre de l’à-venir utopique ou du rêve. L’hybridité, le caractère transfrontalier, mais aussi le dépassement des rancunes et des sanglots, sont encore incapables de créer à eux seuls un monde qui garantisse le vivre-ensemble sur des bases d’égalité réelle entre ses habitants. Concernant singulièrement l’appréhension de l’afropéanité de laquelle surgit le projet de la transracialité, elle relève de l’utopie. L’actualité prouve qu’alors que les discours en sont à l’exhortation du dépassement des considérations raciales dans les rapports humains, on assiste plutôt à l’accentuation et au renforcement des différences raciales. En dépit des efforts de miscégénation constatés, il faudra composer avec les communautés et leurs particularismes. Aussi la tendance de certains à simplifier les inégalités de ce monde où à trouver des solutions normatives reste-t-elle problématique et sujette à caution.

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ZAP MAMA. (1993). Adventures in Afropea. [CD]. Bruxelles : Crammed Disc.

1Ce travail a été réalisé dans le cadre du project « Littérature et philosophie », de l’Université de Doula.

2Léonora Miano, dans Habiter la frontière (2012a : 83), soutient que c’est à David Byrne, membre fondateur du groupe Talking Heads et créateur du label Luaka Bop, dans les années 1990, que l’on doit la lexie Afropéa qu’il désigne comme un continent aux contours fictifs afin de traduire les influences des cultures subsahariennes sur l’Europe. Il sera repris en 1993 par le groupe de musiciens belges d’origine zaïroise Zap Mama dans un album, Adventures in Afropea, où l’on retrouve le terme afropéen.

3L’exemple du Cameroun, un pays renfermant plus de 250 ethnies, montre la difficulté qu’il y a à déterminer une identité nationale. L’Afrique comprend aujourd’hui 55 pays affirmant chacun, sous le couvert de la souveraineté, une identité nationale, parfois près de territoires luttant pour leur autonomie (les zones anglophones au Cameroun, le Sahara occidental au Maroc, la Casamance au Sénégal, l’enclave de Cabinda en Angola, Zanzibar en Tanzanie, la région du Pool au Congo Brazzaville).

4La recrudescence des nationalismes et la tentation des replis identitaires observables dans la quasi-totalité de l’Europe depuis les importants flux migratoires causés par les conséquences du printemps arabe, particulièrement la chute de Mouammar Kadhafi en Lybie, et la crise syrienne au Moyen Orient, en montrent un bout.

5Nous entendons ici une forme moins douloureuse pour les sujets et qui réunirait davantage de consensus.

6Martin Schulz lui a reproché lors d’un débat télévisé, le 04 septembre 2017, d’avoir décidé de la politique migratoire de l’Europe, en accueillant plus d’un million de migrants, sans consulter ses partenaires. Ses compatriotes lui ont envoyé un message similaire en accordant plus de 13% des suffrages au parti nationaliste anti islam et anti immigration, l’Alternative pour l’Allemagne, lors des élections législatives du 24 septembre 2017. Les élections parlementaires en Autriche et en Pologne ont consacré des partis de la droite extrémiste et populiste. Les manifestations du16 décembre 2018 en Belgique, suite à l’adoption du Pacte de Marrakech sur les migrations, attestent encore, si besoin en était, de l’hostilité à l’égard des migrants dans des pays d’Europe.

7La littérature camerounaise, pour ne prendre que cet exemple, est davantage connue au travers des écrivains de la diaspora. Les auteurs locaux ont du mal à se frayer une place dans le champ littéraire, en raison de nombreux maux dont le principal est l’édition. Dans un appel à contributions publié en 2019 par la revue en ligne Itinéraires et consacré à la « renaissance littéraire africaine » en débat. Il y apparaît qu’à l’échelle internationale, ladite renaissance est incarnée par les auteurs de la diaspora (Alain Mabanckou, Fatou Diome, Léonora Miano, etc.).

8En référence à l’ouvrage de Salman Rushdie (1993).

9Ce contact avec l’ailleurs s’est effectué par sa lecture d’auteurs Noirs américains et caribéens.

10Le nappy hair ou big chop (dénomination française du Natural hair movement) est un mouvement identitaire et contestataire de femmes noires, ayant pris forme dès la première décennie des années 2000 aux États Unis. Il consiste à garder les cheveux naturels, donc crépus. C’est un courant à la mode dans les milieux noirs et particulièrement en Occident. Les milieux intellectuels et artistiques lui ont octroyé une portée identitaire. Le nappy hair prône le retour aux sources, à l’authenticité des Noirs, qui doit s’observer aussi sur leur physique dont il faut vanter la beauté.

11L’assimilation quasi systématique du Noir à l’immigré pourrait s’expliquer par le fait qu’à l’exception des descendants des victimes de la traite négrière, les Noirs originaires d’Afrique qui se retrouvent en grand nombre en France y sont arrivés en majorité par le biais de migrations diverses.

12« I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin, but by the content of their character. »

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